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Monde Mo d et ne

7" ANNKE

REPRODUCTION INTERDITE

des articles et des illustrations.

DROITS DE TRADUCTION RÉSERVÉS

pour tous pays, y compris la Suéde et la Norvège.

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Le

Monde Moderne

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TOMK XIII

Janvier-Juin 1901

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PARIS

Albert QUANTIN, Éditeur 5, Rue Saint-Benoît, 5

REPRODUCTION INTERDITE

des articles et des illuslralions.

DROITS D li T R A I) U i: T U> N B li S K R V L S

pour tous pays, y compris la Siirde et la Norvège.

Le

Monde Moderne

TOMH XIII

Janvier-Juin 1901

PAR IS

Albert QUANT IX, Éditeur 5, Rue Saint-Benoît, 5

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LES ïROIS HORACE

I,e chevalier Horace tic LavaleUc 1 Ces trois jeiiiirs Ikuhiucs ipir, (lan> ,i

clant mori fort jeune, après avoir dila- 1 société, on appelail du prciinm ilr loin

pidé ses biens à la cour du Héfjcnl, ses \ père, les Horace, jjour les distinguer de

tiois fils prirent du ser\ice dans l'armée : la branche ainée des La\alette, étaient

de M. de .Noailies, comme iieutenanis. t l'orl ilisseniblables de visage et de carac-

LES TROIS HORACE

Le chev.ilier llurMce de L;i Valette ! étant mort fort jeune, après avoir dila- pidé ses biens à la cour du Régent, ses trois fds prirent du service dans l'armée de M. de Xoailles, comme lieutenants.

Ces trois jeunes Imunnes cpie, dans a société, on appelait du prénom de leur père, les Horace, pour les distinguer de la branche aînée des Lavalette, étaient fort dissemblables de visage et de carac-

l.i:S TKOIS IIORACK

li-re. L'aillé. Kabien. était avant tout fralaiit et impétueux. Très civil, el se plaisant aux règles délicates de l'éli- (juetle, il était recherché des femmes. Personne mieux que lui ne savait tendre le dra^'coir, ouvrir l'éventail, rendre un lichii tombé, tou,< ces menus arlilices d'une main fine (|ui sort avec avantafje du flot de dentelles de l'habit de salon, l'ji outre, il possédait une figure agréable, et rien n'était plus séduisant qne l'éclat de ses yeux noirs et de son visage bistré, sous le frimas de ses che- veux poudrés. L'uniforme lui seyait tant, que la duchesse de Châleauroux s'était écriée : « Quel est donc cet homme si bien fait? » un jour qu'à Melz elle le voyait passer dans sÎju ajus- Icinenl brodé d'or, que l'épée négligente rolevait au côté sur la culotte blanche. Mais sa violence en campagne était aussi terrible que sa grâce était aimable en société, et il semblait alors n'être fait que pour le carnage, le canon et le sang ; bien peu semblable en cela à son rrère cadet, qui n'était entré qu'à regret dans les armes, et dont feu roulant (le la bataille ne semblait jamais inter- rompre l'éternelle rêverie. De haute taille, émacié dans son habit fluet tout flottant de dentelles, Etienne de La\a- lette portail une profonde mélancolie )usf|ue dans les camps. .A lencontre de Fabien. (|ui ne vovait point une femme (|ii'il n'en fût amoureux, lui n'avait ja- mais aimé. Mais on disait de lui (pi'il composait un long poème ])our célébrer le règne de la Paix, et souvent dans les batailles, (piaïul il menait ses gens aux avanl-pnslcs. on le voyait négliger de tirer son épée pour se défendre.

Le troisième. Hubert, était d'un na- turel modéré et taciturne. Fort timide, il fuyait les salons, se |)laisait à la soli- tude et alfectail de mépriser la société. « ("est un bon oflicier, disait le maré- chal, f|ui était spirituel, mais à l'armée sciileineiil . >i (domine il parlait peu, on l'estimait d'ordinaire moins (|ue ses deux aillés. .\ la vérité, il était, bien

qu'encore à l'adolescence, serviable, ré- fléchi et fidèle ami ; mais ce sont des vertus de peu de poids dans les juge- ments qu'on se forme des gens.

A Fontenoy, les trois messieurs de Lavalette étaient présents. Fabien, vic- time de sa folle intrépidité, eul sou che- val tué sous lui et du! lonibaltre obscu- rément à pied, comme un de ses gens d'armes, lîtienne, toujours rêveur el insouciant, dressé sur sa monture ca- brée, demeura parmi la jdiiie des balles anglaises, sans qu'une seule effleurât le panache de son chapeau. Pour Hubert, calme et observateur, il avait suivi froi- dement la bataille; ce fut lui (pii tourna ses hommes en panique vers l'assaut linal. Il eut les deux jambes brisées, mais il fut nommé colonel à vingt ans.

Les trois frères s'aimaient d'une pro- fonde tendresse. Pour la convalescence du jeune héros, ses deux aînés prirent un congé dans le dessein de le passer à Paris; mais ils s'arrêtèrent, en traver- sant la Bourgogne, au château de la douairière de Lavaletle, leur tante, pen- sant que la salubrité de ce pays récon- forterait mieux Hubert.

Ils arrivèrent à l'improviste. un soir de septembre brumeux et mouillé. Il faisait nuit à demi, et leur équipage était si triste, du voyage qu'ils \enaienl de faire, que la douairière ne les recon- nut [)oiiil. Ils se nommèrenl. et aussitôt elle leur fit fête; mais ils demeuraient singulièrement gênés de leur mauvaise entrée et du vilain état de leur ajusle- ment. La douairière, en attendant le souper, les fit asseoir autour de l'âlre. dans la salle d'homicur; elle se montrait surtout fort occupée d'Hubert, dont elle avait appris la brillante conduite : mais celui-ci, soit ipie sa timidité se fiit accrue aux camps, soit que ces brumes d'automne lourmeiitasseni ses blessures, restait morose el se prêtait mal aux compliments qu'on lui adressait.

Soudain, la porto s'ouvrit, et leur cousine .\rmande c;iIim en jetant un cri de surprise. l'^lle avait dix-se|it ans, el

l.i;S TliOlS IIOHACE

sou jeune corps, ii peine i'oriné, était somptueusement vêtu d'une robe de damas à paniers, af^rémentée de fleurs vertes et de festons d'argent. Ses che- veux blonds, relevés en rouleaux opu- lents, étaient à peine voilés d'une pincée de poudre; et d'une fj-aisc de mousse- line sortait son cou, délicat et pur. A son arrivée, les lumières de l'âlre firent scintiller les givres de sa robe et rougi- rent son visage fragile.

Les messieurs de Lavalelle sentirent alors, tous trois ensemble, la médiocrité de leur mise, et ils eussent donné cher pour être en ce moment en poste sur Paris; cependant, malgré leur mauvaise humeur secrète , ils s'inclinèrenl db bonne grâce et vinrent baisci' la main de leur cousine, (^elle-ci, sans répondre, leur sourit avec un charme qui tenait à la fois de la femme et de l'enfant. Quand elle souriait, sa bouche s'ouvrait linement sur ses dents, petites et rondes, et l'on découvrait mieux aussi, dans ses prunelles grises, une étrangeté fie ses yeux, une sorte d'ambigu'ité du regard qui vous troublait comme un mystère.

.•\rmaiide de Lavalette n'avait jamais été à la cour. La douairière I élevait au château, comme dans un cloître ; elle était fort instruite, connaissait les astres, el, chaque semaine, un maître de la ville \enait lui enseigner les lettres arabes. Monseigneur de Dijon, son parrain, lui avait en outre rendu la théologie fami- lière, et il n'était presc[ue point d'exé- gèse qu'elle ne connût. ^Liis, à mesure que son esprit s'ornait de ces connais- sances abstraites, une grâce plus insi- nuante semblait sortir de son corps ; un charme fatal que redoutait vaguement sa mère, et qui ressemblait à l'attrait mortel de certaines fleurs.

Klle regarda tour à tour ses trois cou- sins et demanda lequel s'était tant illus- tré à la dernière guerre. Hubert, alors, détourna vivement la tète vers la flamme du foyer, pendant que ses deux aînés s'empressaient avec fierté de le dési- gner. Mais, en même temps qu'elle le

félicitait, en termes na'ifs qui révélaient la c;indeur de sou esprit, elle regardait obstinément Etienne. c[ui faisait jouor de la main les dentelles de son habit.

La douairière lit servir à ses neveux un riche festin, et les combla d'amiliés; mais rien ne pouvait dérider les trois gentilshommes. Ils goûtèrent à peine aux mets qu on leur servit, et, malgré l'aimable simplicité de leur cousine, ils évitaient de lui adresser la parole, de sorte que le souper fut taciturne et qu il fallut tout l'enjouement d'Armandc pour qu'il ne fût pas détestable.

Le lendemain, à midi sonnant, le chevalier Fabien de Lavalette n'était pas encore sorti de son appartement. 11 ne voyageait jamais sans une petite malle d'onguents, de liqueurs odorifé- rantes, ces mille produits de l'Inde qui faisaient alors fureur à Paris, et, depuis le matin, son Valet n'était occupé qu'à le frotter, l'enduire de parfums, teindre ses ongles à l'essence de rose, blanchir ses mains au " lait de lotus « et cent autres pareilles cérémonies de raffine- ment et de coquetterie. Quand il fut ainsi lavé et parfumé, il renvoya le va- let à l'oflice, se regarda vingt fois au miroir, et demeura encore un long mo- ment devant sa porte comme s'il n'osait l'ouvrir. Quand il se décida à descendre, il trouva Etienne au salon, devisant avec .Armande. El, comme il s'informait d'Hubert, on lui répondit que celui-ci, souffrant de ses blessures, gardait le lit pour cette journée. Il fit avec noncha- lance quelques pas vers la porte qui s'ouvrait sur le jardin.

Durant toute la nuit, il avait plu et les feuilles mortes ou vertes étaient tom- bées en abondance dans le parc, cou- vrant les gazons et les allées. Mainte- nant un pâle rayon de soleil filtrait à travers les frondaisons éclaircies et glis- sait sur les ondes agitées de la pièce d'eau. Armande le rejoignit alors et de- manda à ses cousins s'ils voulaient visi- ter les allées. Ils y consentirent. De ce moment, Fabien commença d'épier son

r.iis TiKiis II i> ISA ri-:

c;i(let, iiiixieux de

savoir s il alliiil se

rapprocher d'Armande el lui olFrir la

main. Pendant ce temps, la jeune lille

franchil les marches du perron ; elle

relevait à deux mains sa lourde robe de

hrocarf, ne posant à terre (pie du bout

(le sa panloulle. l.e> deux gentilshommes prirent place à ses cillés, et, comme elle était fort occupée à ne point mouiller les ourlets de sa robe, ni 1 un ni l'autre ne |iut solliciter d'être son cava- lier. t]ontrc leur ordinaire, Etienne de Lavaletle parlait avec animation, se montrant re et tout autre qu on ne ivait vu jusqu'alors, tandis que Fabien avait revêtu une étrange tristesse. Le premier observait avec enthousiasme les beautés du parc; il s'était aperçu r[ue 1 eau des bassins semblait, à cette saison de l'année, devenir plus légère el plus Huide, et il lit remarquer avec i|uelle pureté celle-ci rellétait les statues de marbre. .Armande i-aissait prendre un vif plaisir à l'écouter; elle té- moigna même le désir de se reposer sur un banc d'où l'on voyait la façade du château se mirerdans l'eau. Mais, comme ce banc était encombré de feuilles jau- nies, pendant (pie l'aliieii s'empressait à le

i.i:s Titois II DU A Cl-:

nettoyer, Ktienne coupa d'un petit ciseau d'ai-frent les dentelles flottantes de son ajustement, et en lit un coussin sur lequel elle put prendre place sans olFen- ser la fraîcheur do sa robe. Fabien ne put retenir un soupir quand il vit le sourire dont Armande le remerciait.

Etienne continua de parler des di- verses émotions de la nature, selon les saisons. 11 expliqua que dans, les jour- nées étouH'anles de l'été, les eaux sont ternes et comme alourdies :

L'azur du ciel s'y résnut, disail-il, en de noirs effluves, et le zéphir est impuissant à rider leur surface. L'hiver, elles ont le froid éclat d'un métal sin- gulier et mobile, mais au printemps, et quand expire la saison des lleurs, elles s'embellissent d'une transparence nou- velle, elles s'allègent et se clarifient comme pour mieux se prêter aux jeux mystérieux des .Xa'i'ades et des Ondines.

Le poète, assis près d.Armande, mon- trait d'une main élégante les ondes s'a- gitant mollement et sans bruit dans leur vasque de pierre, et son beau front s'illuminait comme celui d'un jeune dieu. Fabien ne l'avait jamais vu tel jusqu'alors, et il songeait avec amer- tume de quel elïet serait ce divin attrait de la poésie sur une personne d'un esprit aussi élevé que leur cousine. l']n même temps, un ravon de soleil, pâle et mé- lancolique, vint effleurer le visage d'Ar- mande, et ses prunelles étranges s'ani- mèrent de ces lueurs vertes et chan- geantes, qui sont le perfide attrait de l'eau. Le malheureux chevalier sentit alors son cicur transpercé d'une bles- sure inguérissable, et il comprit que, cette fois, il aimait jusqu à la mort.

Etienne ensuite parla de la guerre. 11 pensait que les armes ne seraient pas éternellement aux mains des peuples, et qu un âge viendrait la paix uni- verselle régnerait dans le genre humain. .\u long de son discours, il tourna di\'crses fois la tête vers son frère, s'é- tonnant de son silence, car cette opinion d'ordinaire échaulTail le beiliipieux

Fabien ; mais le chevalier semiilait ne prêter aucune attention à ses paroles.

Tout à coup, f^n vit Ktieimc s'arrêter et pâlir ; les deux frères se regardèrent et se pénétrèrent 1 un l'antre, puis ils penchèrent la tète en soupirant. De ce moment, Etienne se tut, et le che\alier n'osa point reprendre la parole.

En même temps, des nuages rapides poussés par le vent d'automne voilèrent le ciel, et la triste pluie des feuilles se mit à tomber en silence, froissant seu- lement au passage les jupes rigides d'.Vrmande qu'elle effleurait. I.a jeuni' lille frissonna; ses prunelles mouvanles s'assombrirent et se tournèrent \ers Etienne comme effrayées.

Mes cousins, demanda-t-elle, n al- lons-nous pas rentrer?

Etienne, auquel elle s'était adressée, resta quelques inslanis junisif. [>uis, regardant son l'rère. il rcpondil fine Fabien 1 escorterait, cl que, pour lui, il demeurerait encore afin do gnùter nn peu plus la poésie de ce lien.

Son aîné le remercia d'un reganl |)k'in de mélancolie ; mais, quand le poète, seul et rêveur, les vit s'éloigner, il re- marqua que le chevalier marchait aux côtés d'.\rmande sans lui parler, et qii il ne lui avait pas offert la main.

Durant laprès-dinée, la douairière lit servir à ses neveu.x un certain calé f[ui venait directement des Indes. Armande n'en goûta point, mais ce fut elle qui servit ses cousins. (.Juand elle versa le breu^•age. le chevalier crut voir qu'elle mettait plus de grâce et plus de sollici- tude en emplissant la tasse d'Etienne; mais la douairière ne le laissa point suivre le cours de son inquiète rêverie.

Elle leur annonça gaiement qu'elle les garderait de longs jours, et que, ayant vu à l'écurie leurs chevaux four- bus et tout défaits par le voyage, elle avait dépêché à Dijon pour en faire venir trois qui seraient plus convena- bles aux fêtes qu'elle avait dessein de leur offrir. En même temps, elle leur vanta la Ixniuté de ses vignobles et de ses

LKS THolS IlOKACi:

chasses, leur décrivant avec art le pitto- resque (lu pays, et causant avec celle assurance que flonnent,aux personnes de mérite Vii'^c mûr et l'expérience. Mais les deux messieurs de Lavalette ne pou- vaient s'empêcher d admirer le silence modeste que };ardait Armande : car, si remarquable qu'elle l'ùt par sa science cl ses talents, la jeune lille fuyait tous les discours qui eussent pu dévoiler les richesses de son esprit.

Néanmoins, après le fjoûter, comme le temps s'était attiédi, elle demanda à Ktieune s'il lui plairait d'entendre quel- ques airs de harpe. Etienne rouant légè- rement et la remercia. .Mors, les laquais portèrent l'instrument et des sièges sur la terrasse du château, et Armande com- mença de jouer. Ses mules étroites en satin rose laissaient voir son pied d'en- fant qui marquait la cadence, tandis que, sous ses doigts, naissait la mélodie nuageuse d'un menuet.

Le ciel s'était écluirci : un rellel du soleil couchant dorait les cordes oii sa petite main dessinait des arpèges si frêles et si doux (|u'on eût dit que le zéphir seul s'y jouât. .Au bas de la ter- rasse, le bassin reflétait comme un mi- roii- la blanche façade du château, de- |]iiis sa base jusqu'aux colonnades du laite, et dans ce tableau passait un souflle de si subtile volupté que les deux gentilshommes s'y abandonnèrent ; cha- cun, oubliant un instant les devoirs sa- crés de l'amitié fraternelle, se laissa glisser facilement au plaisir d'aimer. I/heure n'eut plus de mesure, les lieux n'existaient plus, le passé et l'avcnii- s'évanouissaient ; ils ne voyaient plus (levant eux que la divine enfant.

Cependant le bruit clandestin d'une l'eni'lro iju'on entrouvre les arracha tout d'un coup à leur i\Tesse. Ils regar- dèrent en haut, et tous deux ensemble imaginèrent avoir aperçu, derrière les rideaux abaissés, l'ombre de leur cadet. De cet instant, leur attention |)arul mêlée de soins étrangers : la réalité send)la les leprondre et, coninie s'ils

eussent eu conscience de s'être un mo- ment mutuellement trahis, leurs yeux commencèrent à se fuir, et chacun se replia douloureusement sur soi-même, dans un profond souci.

Puis, soudain, Armande ayant senti sur ses épaules à demi nues la fraîcheur du crépuscule, elle se leva en souriant, et les deux messieurs de Lavalette la suivirent. La douairière lit apporter les flambeaux au salon d'honneur, et les I flammes s'allumèrent dans l'âtre. La veillée commençait, et rien ne pourrait dii-e quel attrait singulier mettait, dans celte salle som])tneuse aux meubles dé- licats, la présence d.\rmande. l'aile allait et venait, sa ])anloutle sémillant glisseï' à terre, et les glaces des ti-nnieaux, dont l'or |)àle s'allumait aux lueurs du fo^-er, reflétaient au passage sa silhouette lé- gère. Les festons d'argent de sa robe se constellaient de brillants, et le poé- tique Etienne voulait y voir des goutte- lettes ruisselantes, car il ne pouvait séparer de la vue de sa cousine l'image d'iuie de ces ( tndincs dont son caprice peuplait l'ombre des eaux. Le chevalier, au contraire, admirait en silence sa gaieté mutine d'enfant, qui se mêlait si étrangement à la langueur de la jeune fille ; car il en est ainsi quand nous ai- mons, et c'est de nos pro|)rcs goûts (|uè nous ornons l'être choisi.

Pourtant, loin de goûter i)leinemenl la douceur de cette heure incomjiarable, on aurait cru que les deux gentils- hommes cherchassent à en fuir le charme mortel. Le remords d'avoir cédé tout à l'heure à un amour si ca])able d'oll'cnser leur amitié récipro(pie les aiguillonnait sourdement ; ils ne |)ensaient plus (|u"au moyen d'éviter l'irrésistiblo sortilège qui déjà les reprenait et les retenait en dépit deux-mêmes près d'.Vrmandc. Pendant que l''abien s'accordait de mi- nute en minute quelque nouveau délai, ICtienne, plus généi'eux, s'arracha le premier à la douce intimité de ce lieu. Il pril prétexte, pour quitter les deux dames, d'aller s'informer d'Hubert, se

I.i:s TliniS linii \CK

résignant ainsi à voir le chevalier de- meurer seul près de sa cousine ; mais celui-ci, stimulé par un si touchant sa- crifice, n'en voulut point profiter et déclara qu'il accompag:nait son frère.

L appartement qu occupait Hubert se trouvait à 1 extrémité du château, et il fallait un loni; moment pour s y rendre; mais, pendant le trajet, les deux frères marchèrent silencieusement cote à cote.

sans qu'une parole tombât de leurs lèvres ; on aurait même dit que la seule présence de l'un olfusquàt l'autre.

Quand ils entrèrent, ils trouvèrent Hubert, non point au lit, mais debout e( paré de son plus bel ajustement. Mal- ^'ré sa grande jeunesse, il avait dans le visage une certaine fermeté qui s'ac- commodait bien avec le faste sévère de son habit de colonel, tout orné de ga-

I.KS Tito 1 S HiiHAC.K

Ions dor et de broderies en lil de métal. Il portail l'épée fière, et son pied cam- bré dans le soulier à boucle semblait riéfier tout souvenir de ses horribles blessures. V.n outre, sans qu'il le sût, sa jeune gloire {environnait sans cesse, et il n'était point un de ses f;estes qui ri'emprunt;'il à sa valeur désormais cé- lèbre une sorte d'éclat. Quand il appa- rut ainsi à ses deux aines, ceux-ci crurent voir la déesse des armées se |)enchant sur son front pour 1 illuminer dune beauté inconnue.

Hubert, lui dit le chevalier, avez- \ous été vraiment fort incommodé au- jourd'hui ?

Le jeune homme secoua tristement la tête : il prit une place qui semblait avoir été celle de toute sa journée [irès d'un (' bonheur du jour " encombré de livres feuilletés et épars.

Mon frère, répnndit-il, xdus vou>- êtes mépris sui' in:i (liuilcur. cl le mal que j'endure n'r;-! |ii)iiil celui que mim> croyez.

Les deux messieurs de I.a\alelle se rej^ardèreut avec une anxiété nouvelle. Aucun malaise, eu elTel, ne se révélait en lui. Henvcrsé sur un fauteuil fraîjile aux formes eflilées, l'épcc posant négli- j^emment sur ses jambes croisées, il avait le rej,'ar-d ardent sous les rouleaux poudrés de ses cheveux, et ses mains se crispaient l'une dans l'antre.

Je n'entends point ce que \ ous voulez dii-e. Ilubcrl, objecta le cheva- lier ; avez-\ons au moins bien dornii l,i dernière nuit ?

Hélas 1 murmura le jeune héros ; je ne connaissais que jiar ou'i-dire mon nouveau tourment ; je sais maintenant (|u'il est de ceux par qui le sommeil est vaincu. Sachez-le donc, mes frères, j'aime !

Les deux f^enlilshumnies fri''niirent à ce nouveau coup. Ktienne, pâle et fflacé, se détourna, pour cacher l'altération de ses traits, vers la fenêtre d'où l'on voyait la nuit descendre sur le pai'c. l'abicn demeura atterré et sans voix.

Alors, à la faveur du silence qu'ils gardaient, le jeune soldat, ivre de son premier amour, se mil à parler d'Ar- mande et de sa beauté. Il ne l'avait vue qu'à peine, n'ayant pas osé lever les yeux sur sou divin visage: mais une seule minute avait suffi pour inq)rimer a jamais ses traits en lui, et il sentait toujours dans le fond de son ànie l'éclat d'étoiles de ses pâles prunelles. Kl tel était le prestige de cette enfanl, qu'il défaillait à la seule pensée de la revoir.

Je n'ai rien pour plaire, ajoutait-il tristement. (Comment oserais-je ])araitre devant elle ?

\'ous vous trompez, mon frère, dit enfin Etienne d'une voix tremblante. |c ne parle pas rie ces vulgaires avantages corporels qui ne sont point pour flatter une personne telle que notre cousine; mais, en outre d'un extérieur agréable, vous possédez encore le seul attrait ca- pable de fléchir un si noble cu-ur : c'est votre gloire que je veux dire.

Le visage d'Hubert s'éclaira.

Croyez-vous iloiic que je ne lui aie point déplu .' demanda-t-il à ses frères.

I']lle a trop de grandeur pour qu un gentilhomme tel que vous lui dé- plaise, repartit encore Etienne en affer- missant sa voix.

Mais I''abien ne relrouv.iit point la force de prononcer un mol. Il était de ceux que de tels déplaisirs abattent, et ilatimirait en silence la fernieléd l'^tieinie. " Quelle fortune contraire, ne pon- vail-il s cni|)êcher de songer, cl pour- cpioi a-l-il fallu que les trois premiers amants tie celle incomparable .Armandc fussent trois frères aussi tendi-emcnl unis que nous le sommes! tjuel est donc le céleste pouvoir de son regard et de tout son être pour qu'on ne la puisse \oir sans l'aimer! "

Cependant la chiche du souper sonna, et Hubert, réconforté par les paroles de son frère, prit enfin le parti de revoir sa cousine ; comme il remarquait l'é- trange pâleur du chevalier, ainsi que son humeur morose, il lui prit amicale-

TROIS lIOltAC. K

ment le bras et lui (leni.'inda s'il n'était poiut fâché qu'il eût conçu un si j^rand amour sans le consulter. Fabien lui répondit que non, mais dune façon si singulière que le jeune homme sentit se mêler à sa joie une lég^ère inquiétude dont il ne débrouillait pas la cause.

Les tendres louanges que lui avait décernées ctienne, bien faites pour rendre de l'assurance à un jeune amant, lui donnèrent devant .\rmande une grâce toute nouvelle. La jeune fille lui ayant demandé s'il ne souffrait plus de ses blessures, il en parut ivre de joie. Cependant, quoique .Armande fîjt en- jouée selon son ordinaire, et que les deux aînés des Horace feignissent une aimable gaieté qu'ils étaient si loin d avoir dans le cœur, un voile de mé- lancolie sembla'it répandu sur le repas.

On était alors à l'équinoxe d'automne, et chaque nuit le vcjit recommençai I à souffler violemment sur la plaine s'élevait le château. On l'entendait bruire dans la cheminée, et. plus d'un coup, les chandelles de cire qui éclai- raient la table faillirent s'éteindre dans leurs flambeaux. A chaque fois, une op- pression de tristesse élrcignait plus pro- fondément les cœurs. Feu à peu même, les paroles qu'échangeaient les gen- tilshommes avec leurs parentes devin- rent plus rares. Fort à point, la douai- rière proposa qu on se rendit au salon. Le chevalier alors lui offrit la main, Etienne s'écarta d Armande pour qu'Hubert vînt lui rendre le même service, et il le suivit en soupirant.

.Arrivée au salon, .Armande s'assit au clavecin. La douairière prit place près de la cheminée et se mit à parlîler. Les trois Horace se rangèrent sur de petits tabourets autour de l'instrument. .Ar- mande choisit un cahier de romances de Lulli qui avait appartenu à sa mère, et commença de chanter.

Sa taille d'enfant, moulée et serrée dans le chatoyant corselet de damas, fléchissait \ ers le clavier et sa poitrine se gonflait d'une voix si iloucc et si

émouvante qu on sentait un frisson de tristesse à en écouter les notes légères ; en outre, rien ne s'accommodait mieux avec la mélodie plaintive de la romance que les accords du clavecin tremblants et assourdis. A mesure qu'elle chantait, une plus vive douleur étreignait le cœur du chevalier, et il semblait à Etienne entendre une psalmodie poétique tombant sur son bonheur à jamais en- seveli. L un et l'autre, cependant, par une étrange contradiction, enduraient avec délice le cruel supplice de l'écou- ter, et leurs yeux, voilés de larmes, ne quittaient point .Armande.

Tout à coup, le chevalier sentit sur lui le regard pénétrant et obstiné de son jeune frère, et il frémit en songeant que son émoi et ses pleurs l'avaient trahir. .Au même instant, Etienne, [jre- nant entre ses mains son noble front de poète tout ravagé par la lutte qu'il se livrait , involontairement révéla sa souffrance secrète. Pourtant Hubert devait n'avoir rien compris, car on ne vit point son mâle visage s'altérei- et il continua d'écouter Armande.

tjuand celle-ci se tut et se retourna \ers la douairière, son sourire s'était éteint ; on aurait dit que la mystérieuse douleur planant autour d'elle l'avait effleurée: elle paraissait tourmentée par des pressentiments de malheur, et son oreille inquiète se prêtait aux tristes sifflements du vent qu'on entendait au loin ravager la plaine.

11 fera mau\ ais sur les routes cette nuit, dit-elle tout à coup d'un ton sin- gulier qui fil tressaillir Fabien.

Mais Etienne re])rit doucement.

Ma cousine, si le vent trouble votre sommeil, songez à prier pour les voyageurs.

Tout beau 1 s'écria la douairière, le vent souffle d'Orient, nous aurons une adorable promenade demain à l'excursion j'ai dessein de vous con- duire. Les ceps rougissent au vent comme les yeux des bergères, mes vignes seront toutes de sang et d'or.

I.KS TU OIS lIOHACi:

Aucun des trois f;eiitil?lioninics ne répoudil.

Armaiidc jjorUiil à son coi'safje trois roses de couleurs diirérenles; l'une aux Ions sombres et veloutés de la pourpre", l'autre aussi pure (|ue sondélicat visaf;e ; la troisième d'ini hlanc de lait. Hubert s'approcha cl lui demanda à jjrendre cette dernière (|ui sj'mbolisail sa can- deur : le ihevalier choisit la sombre Heur oii il vovail limaL'c de son co'ur

meurtri et sanglant. La jeune fille tendit alors au rêveur Ktienne la rose qui res- tait, mais, comme il la prenait, elle s'elFeuilla dans leurs iloif,'ts, cl il n'en |)ul saisir que des ptMales fugaces. Les trois frères lui baisèrent alors la main en silence.

.\u revoir, mes cousins, leur dit- elle, le cœtu' tout oppressé.

TiiOls iionAc.i':

Adieu, cousine, murmurèrent-ils ensemble tout en se retirant.

La nuit, le vent redoubla de violence ; on l'aurait cru prêt à renverser le châ- teau. Tout alentour, les arbres se tor- daient, les lourds auvents de chêne se brisaient dans leurs gonds ; ce fut un chaos sinistre où, de tous les bruits mêlés, on ne pou\'ait distinguer un seul. Armande apjiehiil en vain le som- meil ; elle croyait entendre mille choses extravagantes, et, par trois fois, il lui sembla reconnaître sur la route le galop éperdu d'un cheval. Ce ne fui qu'à l'aube qu'elle s'endormit jusqu'à une heure avancée de la matinée.

Alors la chambrière entra toute con- sternée comme après quelque malheur. Elle tenait à la main trois billets qu'on avait trouvés dans les appartements de messieurs de Lavalette. Quant aux gen- tilshommes, ils étaient mystérieusement repartis à la faveur de la nuit, et le palefrenier avait vu à 1 aube l'écurie \ide de leurs chevaux.

Armande saisit d'une main tremblante les billets qui lui étaient adressés.

Ma cousine, lui disait Fabien, par- donnez à celui qui, vous ayant vue, trouve encore le courage de fuir votre demeure, et qui, le cœur brisé, va de- mander à la nuit et à la tempête tous les voiles nécessaires au secret de son départ. Ne blâmez pas mon incivilité, et cherchez, dans l'estime que j'attends de vous, de quoi excuser un acte si im- pardonnable. Je laisse auprès de vous deux frères que je chéris, et qui tous deux, ornés par le ciel de dons divers, mais également précieux, sont égale- ment dignes de votre amitié. Si mon départ doit vous causer quelque dé- plaisir, trouvez en eux une heureuse diversion à votre ennui.

Les yeux attristés d'Armande s'em- plirent de larmes, et ce fut à travers un

voile qu'elle lut le message d'I^tienne. - Quand les vapeurs du malin voi- leront à vos yeux mi-clos les ardeurs trop fortes du soleil, écrivait le poète, celui qui, à cette heure, croit encore entendre le souffle léger de votre som- meil sera loin de vous. 11 s'arrache à un combat qui n'a que trop duré. Tous trois, incomparable .Armande, vous nous avez blessés d'un immortel amour. Trois frères étroitement unis sont de- venus à votre vue de tristes et inconso- lables rivaux. N'est-il pas juste que, de ces trois, le moins digne de vous pos- séder se relire de la lutte avant d'avoir trahi l'amitié fraternelle ? Que votre cœur hésite désormais entre les deux nobles amants que je vous laisse : le chevalier, dont vous ne pourrez estimer assez la haute vertu, et notre jeune héros, Hubert, qui, à une vertu pa- reille, joint une valeur prématurée el un illustre renom.

M""^ de Lavalette sentait son cieur défaillir. Cependant elle fit etTort pour déchiffrer encore le touchant adieu d'Hubert.

Je pars, cousine, écrivait l'héroïque gentilhomme, et je dois garder le mys- tère de ma fuite clandestine ; un grand devoir que je ne puis vous expliquer me rappelle à l'armée. Si mes frères s'étonnent de ma conduite, dites-leur ceci : « Hubert \ ous devait trop pour ne point partir quand il l'a dû. »

Et pendant qu .Armande, abattue et étonnée par sa première douleur, reli- sait sans se lasser les lignes qu'a\ait écrites Etienne, sur le chemin de Bour- gogne, à plusieurs lieues de distance, ignorants de leur mutuel voisinage, les trois Horace chevauchaient fermement, en route pour 1 armée de^Lde Noailles ils allaient reprendre du service.

Colette ^ ^ eh.

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M !•: li A X

Méraii se compose de deux villes jux- laposées dont les habitants, les mœurs, la vie entière, n'ont, maljifré les appa- rences tiuelqiierois trompeuses, aucun rapport coninuin : d ai)nrtl la \ ieilio cité féodale, puis la nouvelle \ille ou Kurort >■, dont lorif^inc récente est une des heureuses créations de la mode éléf^ante et cosmopolite.

Kn remontant le cours de l'histoire, lin trouve Mcran, colonie romaine, sous le nom de .Maïa ; elle devait se trouver sui- la ri\e gauche de la Passer, sous 1 eniplacenienl actuel du petit villaf;c dOberniaïs. Puis, elle subit l'invasion des barbares. Cioths, Bavarois, Lom- bards, et est enfin rattachée, \ers le IX' siècle, au royaume de (iermanie. Quelipies années plus tard, un ébnule- nient partiel de la montagne \oisiuc leiif^loutit soudain, et, dès lors, la ville est reconsiruite sur l'iiutre rive dn lor-

l'cnt. au lieu qu'elle occupe encore au- jourd'hui. .Avec le m'' siècle commence la période féodale, et tandis que le Tyrol est partagé entre divers grands sei- gneurs dont les manoirs, aujourd'hui en ruines, attestent l'ancienne puissance, Méran passe sous la domination <les comtes de \'instgaii. qui prennent bien- tôt le nom de comtes de Tyrol. C'est la prééminence politique de la ville qui devient désormais la capitale de toute la province ; ce temps de prospérité dure environ deux cents ans. jusqu'à ce que le mariage de la dernière héritière de la seigneurie, .Marguerite Maiiltascli, a\ec un prince de la maison d'Autriche, consaci-e la suprématie dn gouverne- ment des Habsbourg. Knlin, vers Itîli,"). le Tyrol est détinitivemcnt incorporé à la monarchie aiili'ichienne ; Innsbriick devient la capitale ofliciclle de la nou- velle pnivince. et Méran, relégué au

second plan, ravafié plusieurs fois par les inondations de la Passer, voit chaque jour diminuer son importance et s'étendre en même temps le funèbre voile de l'oubli.

Pendant la yuerre de 1809, sa proxi- mité avec l'auberge de maître Hoï'er, le héros de la résistance contre les Bava- rois et les F"rançais réunis, lui est en- core un regain de célébrité de courte durée, et c'est seulement vers 1836, sous la réclame persistante de quel(|ues étrangers venus pour y respirer l'air pur et jouir du climat bienfaisant, que, brillant papillon, ÎNléran sort de sa chrysalide avec la réputation de « Kur- ort », voit s'élever comme par enchan-

au point de vue polilii|uc. qu'un chef- lieu de district, dont la population stable com])rend à peu près (>(»((» habitants; mais l'aliluence étrangère est telle que, pendant neuf mois de l'année, ce chilfre grossit en des proportions considérables et peut atteindre "Jô ()(•<) personnes.

D'ailleurs, sa situation est tout à fait privilégiée et contribue grandement à la faveur dont il est l'objet de la part des malades et convalescents de tous pays. Sis au- bord de la Passer, presque au point de jonction de ce torrent avec l'Adige, il olfre de charmants ombrages sous lesquels à toute heure du jour, tantôt sur la rive gauche, tantôt sur la rive droite, le promeneur peut s abriter

MÊRAN VU DK LA G I L F-PU O M E N A DE A gauche, le village d'Oljeriiiaïs ; à droite, le donjou de Zenoburg.

tement toute une ville moderne d'hôtels cosmopolites, et accourir des légions élégantes qui ne tardent pas à la baptiser de " Nice autrichienne ".

Actuellement, Méran n'est donc plus. XIII. 2.

des ardents rayons du soleil. A louest et au nord, une chaîne de montagnes, dont le Jlutberg et le Kiichelberg sont les plus proches sommets, le préserve des vents froids et violents des jrlaciers

ilr ri'',ii^'.'i(iiiiR : enfin, |)l<i('é Hur la route (II' (■(iinmiiFiicalion qui rplic l'iiiltTicur (lu I yidl, il lin coti- ;ivcc lu Suisse [tar MîirliiiHhriick, de l'aiilrc avec l'Italie par le col du S(elvio, il bénéficie du trariHit continuel de voyajfcursqui existe (Mitre les trois pays.

Avant de parler de Méran j Kurorl», faisons iirj (oiir dans la villi'. l'ji aii'jvani di' Suisse ou d'Ilalic, (111 y pénèlre par une anlitpic |ir>rti' vdûlée et larj^e, nfun niée " Vi II hI (;o ucr Tlior .., an friuit rir la(|iiclle se défaclit? en (,'r'()S caiacIcTcs ces Niinplcs mois : " Slaill Mi-ian 1. (Ida l'ein place avaiilagciisc- nicnl le vul(,Miic po- (caii indicateur |ilaiilc à riiilcrscclinii des iduli'S, (pi'ori ne pcul Hi-Mcivilcnicnt !ij'c(ju':i la condition d'avoir uur \ lie di- prcsliylc. ( '.l'dc |)()rlc('sl nu vcs- lij,'(' des temps féo- daux, l'une des (piatre on <Mii| enli(''(!S par l'on l't.nl oi)|i};é de passer pour franchir I luceinlede murailles dont la ville était eut, .urée, l'.ll.^ est !,■ point lie d(''part d'une des plus larges artères du vieux Méran : le Uciinwcf;. Tout de siiile, à droite, voici un cloître de capucins, dont la consiruction re- monte au ccunnu'uccment du x\ iT' siècle; ensuite vient la maison l'ut eiii'crmé prisonnier, eu IHItl, .Andréas Ilofer, avant d'être expédié' sur Manloue ; puis le^ liotels, ou mieux, les anciennes liéi- lelleries, dont les cn»cif;iies ^olliiipies et les solides taliles massives de salie à manjjer évoipient le ■■ hou vieux lem|)s •• de- liauaps et des franches lippées. Il y

en a bien, l'une à la suite de 1 autre, cinq ou six. au-devant desquelles, à certaines heures du jour et particulière- ment le matin, rèfjne une grande ani- mation. C'est, en effet, de l'une d'entre elles que partent quotidiennement les voilures publiques qui font le service, soit de la Passerlhal, soit de Trafo'i au

pied du glacier de lUi lier, soit enlin de Laîideck par Naudcrs [lonr rejoindre la voie ferrée de l'.Vrlberg. .\u moment du départ, vers sept heures cl demie, c'est nue véritable scène de genre, digne de tenter le pinceau d un arlisle : à la terrasse, nue l'onli' de voyageurs alFairés se hâtent d'avaler les trois tasses de café au lait traditionnelles, tout eu surveil- lant d un leil inquiet la voilure utlelée, prèle à partir; dans le vestibule, parmi les pyramides de malles de toute l'orme et de loule provenance, les petites

oifiioi-rM,!

bonnes se faufilent avec une agilité de biche, tout en portant •;Tavenienl leur plateau dressé; sur la route, les chevaux s'impatientent et secouent bruyamment leur collier de grelots; enfin, tout à l'entour, groupés par deux, par trois, les paysans, debout, les épaules harna- chées des bretelles vertes nationales et le chef couvert du chapeau pointu à cordons rouges, regardent d'un air nar- quois, la pipe à la bouche, ce spectacle quotidien, mais toujours nouveau.

Tous ces hôtels du Rennweg, partici- pant plus nu moins directement à la vie locale, restent ouverts toute l'aïuiée, tandis que les immenses caravansérails cosmopolites qui peuplent la ville nou- velle ne montrent, en juillet et août, que leurs claires et mornes façades aux volets hermétiquement clos.

^ ers le milieu de cette grande voie s'embranche la rue commerciale par excellence et aussi la plus intéressante, par son ancienneté, de toute la vieille ville : la " Laubengasse ».

C'est une rue étroite, longue d'environ un kilomètre, avec des pavillons en saillie, des corniches sculptées, toute une physionomie de passé respectable, et bordée d un bout à l'autre de deux rangées d'arcades basses soutenues par de massifs piliers carrés. Sous ces arcades qui font l'office de promenade couverte, on dégustait, paraît-il, autre- fois, quantité de belles et bonnes bou- teilles de vin du pays, comme si l'on se fût trouvé sous des bosquets de verdure ; d'où le nom de Lauben (bosquet) appli- qué à la rue. C'est que se trouvent les magasins de toute sorte, depuis la plus infinie échoppe jusqu'au dépositaire des grands journaux étrangers; mais ce qui domine incontestablement, ce sont les étalages de fruits, de fromages, de charcuterie, ainsi que les « ^^'einstube d, ou chambres à vin. De cette promiscuité d'espèces variées, pêches rutilantes et raisins dorés, gorgonzolas aux végéta- tions morbides, lards fumés aux senteurs aigres, qui se côtoyent sans aucune

pudeur, émane un arôme composé, fort peu agréable, que viennent en outre aggraver les bouIFées d'air froid et humide échappées des longs couloirs.

En temps ordinaire, les arcades sont déjà très animées par le va-et-vient con- tinuel des acheteurs étrangers ou indi- gènes ; mais, parait-il, à certaines épo- ques de l'année et particulièrement lors des grandes foires de la Saint-Martin, de Sainte-Catherine et de Saint-Thomas, le mouvement commercial se trouve décuplé par la venue de tous les paysans des environs ; alors la >■ Laubengasse " revêt un aspect particulier, qu'on ne retrouve nulle part ailleurs. Ces jours-là, les geHs de la Passerthal jouissent des prérogatives d'un vieux droit dont les origines remontent à l'époque féodale ; ils peuvent, dans un délai déterminé, se transformer en bouchers, tuer et dépecer tout le menu bétail qu'ils ont amené avec eux, de telle sorte qu'au bout de quelques heures, se dresse sous les arcades, une véritable forêt de potences, se balancent des moitiés d'agneaux, des porcs entrouverts, des veaux dé- pouillés, tout un amas de viande sai- gnante au milieu duquel, semblable à une araignée dans sa toile, le paysan méfiant, épie, l'œil aux aguets, le client rôdeur qui sera sa proie. Mais il n'y a pas seulement que des étalages de chair ; tout le long des voûtes, sur des planches posées sur des tréteaux, se succèdent des avalanches de fruits, de légumes apportés par les paysannes, puis des carillons de clochettes pour les bestiaux aux pâturages, des livres, des dessins, des chapeaux verts et sertis de cordons rouges, des vestes bariolées vendues