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ANNALES

SCIENCES NATURELLES.

IMPRIMERIE DE C. THUAU, rue du Cloître-S.-Benoît, 4.

MM. AUDOUIN , 10. BRONGNIART Er DUMAS,

COMPRENANT

PHYSIOLOGIE ANIMALE ET VÉGÉTALE, L'ANATOMIE COMPARÉE DES DEUX REGNES ; LA ZOOLOGIE, LA BOTANIQUE, LA MINÉPALOGIE ET LA GÉOLOGIE.

TOME SEIZIÈME,

ACCOMPAGNÉ DE PLANCHES.

PARIS.

CROCHARD, LIBRAIRE - ÉDITEUR CLOITRE SAINT-BENOIT, Ne 16,

ET RUE DE SORBONNE, 2.

1829.

SSD Smet.

ANNALES

DES

SCIENCES NATURELLES.

LAVAL AN

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Expériences sur Les Canaux semi-circulaires de l'oreille, chez les Mammifères ;

Par M. Frourens.

Membre de l’Académie royale des Sciences.

(Mémoire lu à Y' Académie royale des Sciences, le 13 octobre 1828.) Sue

1. J'ai déjà fait connaître, dans un Mémoire que j'ai eu l'honneur de soumettre au jugement de l’Académie , les effets singuliers qui suivent la section des canaux semi- circulaires de l’oreïlle chez les oiseaux. Il importait de voir jusqu’à quel point ces effets se reproduisent ou se modifient dans les autres classes, et surtout chez les mammifères.

2. Mais , chez les mammifères , les canaux semi-cir- culaires sont tellement enveloppés par la substance dure et compacte du rocher que, pour parvenir jusqu’à eux, il faut absolument commencer par les débarrasser et les dégager de cette substance.

3. Or, c'est une première opération qui , sur Pani-

XVI. Janvier 1829. 1

Œ'R mal vivant, ne peut se faire sans une grande difficulté ; difliculté qui serait insurmontable peut-être s’il n’y avait quelques espèces le rocher se trouve beaucoup moins épais et moins dense qu'il ne l’est généralement; et si on ne pouvait en outre, mème chez ces espèces, remonter à un âge il n'ait pas encore acquis toute la dureté et toute la consistance qu’il doit avoir plus tard.

4. Sous ces deux rapports d’âge et d'espèce, de jeunes lapins m'ont paru les animaux les plus propres à mes nouvelles expériences : d’abord, chez les lapins comme chez tous les rongeurs, le rocher demeure à tout âge beaucoup moins épais et moins dense que dans la plu- part des autres familles des mammifères ; et, en se- cond lieu , les lapins, comme tons les rongeurs, com- mencent déjà à marcher, à courir, à sauter, à se tenir d’aplomb, à se mouvoir enfin avec une certaine énergie, à un âge encore fort jeune, et conséquemment avant que l’ossification du rocher soit complète. Il y a donc ainsi, chez ces animaux, un moment l’ossification du rocher n’est pas trop avancée, et les mouvemens sont pourtant assez énergiques ; et c’est ce moment qu'il faut choisir pour l'expérience.

5. Chez les animaux carnassiers , au contraire, chez le chat, chez le chien par exemple ; d’une part, la lo- comotion se développe trop tard , d’autre part l’ossifica- tion du rocher avance trop vite : d’où il suit que , quand le rocher serait assez tendre pour se prêter à l’expé- rience, les mouvemens de l’animal sont trop faibles , et que, quand les mouvemens seraïent assez forts , le ro- cher n’est plus assez tendre.

6. Chez les lapins, l’âge que j'ai trouvé le plus favo-

@7)

rable à l'expérience est celui d’un mois et demi à deux mois à peu près; c’est sur des lapins d’environ cet âge que les expériences qui suivent ont été faites.

$ II.

1. Sur un lapin âgé d’à peu près deux mois , je com- mençai par dégager et par mettre à nu le canal horizontal des deux côtés : après quoi je coupai le canal horizontal du côté gauche.

Sur-le-champ l'animal fut pris d’un mouvement ra- pide de la tête de gauche à droite et de droite à gauche ; ce mouvement , comme chez les pigeons précédemment opérés (1), céssait pendant le repos ; il recommençait dès que l’animal se mouvait ; il devenait toujours d'autant plus fort que l’animal cherchait à se mouvoir plus vite : il n'avait peut-être pas autant de rapidité que chez les pigeons , mais il eut plus de constance. On se souvient que, chez les pigeons , le mouvement de la tête qui suit la section du canal horizontal d’un seul côté ne dure qu’un instant : chez ce lapin, au contraire, plusieurs heures après l’opération ce mouvement persistait encore avec presque toute son énergie.

Je remarque en outre qu’au moment de la section du canal, l'animal donna des signes d’une vive douleur ; remarque qui s'applique à toutes les expériences qui suivent.

Le mouvement de la tête s’accompagnait toujours

(1) Voyez mes Expériences sur les canaux semi-circulaires de l'o- reille chez les oiseaux , ci-dessus , octobre 1828, tom. XV, p. 112.

(8)

d’une agitation très-vive des yeux et des paupières; mais dès que la tête était en repos , les yeux et les paupières y étaient aussi.

Dans l’état de repos, la tête était presque toujours portée du côté gauche, rarement dans sa position natu- relle, jamais à droite. Enfin l'animal tournait souvent sur lui-même, et toujours du côté gauche.

2. Je coupai le canal horizontal de l’autre côté : aussi- tôt le mouvement horizontal devint beaucoup plus vio- lent ; il l’était même par fois à tel point qu'il emportait de droite à gauche et de gauche à droite non seulement la tête, mais les jambes de devant et avec elles tout le train antérieur de l’animal.

Ce mouvement troublait et désordonnait tous les autres mouvemens, surtout tous les mouvemens rapides; aussi, quand l’animal voulait courir, il tombait et roulait à terre.

Dans l’état de repos , le mouvement de la tête cessait ; mais dès que l’animal , ou seulement la tête de l'animal se mouvait, il recommençait et toujours avec d'autant plus de force que le mouvement à propos duquel il re- commençait était plus rapide.

Constamment les oscillations horizontales de la tête, après avoir acquis tout d’un coup, à l’occasion d’une excitation quelconque, une certaine étendue et une cer- taine rapidité, diminuaient peu à peu ensuite de ra- pidité comme d’étendue, puis ne constituaient plus qu'un léger tremblement , et puis finissaient par dispa- railre.

Le globe des yeux et les paupières, comme dans le cas précédent du seul canal du côté gauche coupé,

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étaient dans une agitation perpétuelle tant que la tête se mouvait ; cette agitation élait d'autant plus vivé que la tête se mouvait plus vite; et, quand la tête cessait de se mouvoir, l'agitation des yeux et des paupières cessait aussi.

Mais, ce qui est bien remarquable, c’est que la tête qui , après la section du seul canal du côté gauche , était présque toujours tournée à gauche, avait, depuis la section du second canal , repris sa position naturelle sur la ligne médiane ; et que l'animal qui, dans le premier cas, tournait toujours du côté gauche, tournait mainte- nant tantôt d’un côté et tantôt de l’autre.

J'ai conservé ce lapin; il mangeait de lui-même , et, tout faible qu’il était encore à cause de son jeune âge, il a néanmoins survécu durant plus d’un mois. Le branlement de la tête et la rotation de lPanimal sur lui- même , tantôt d'un côté , tantôt de l’autre, out tou- jours subsisté; mais le branlement de la tète était de- venu moins impétueux , et, par suite, tous les autres mouvemens de l'animal moins troublés et moins désor- donnés.

3. Sur un lapin du même âge que le précédent, et après avoir débarrassé de même les canaux horizontaux de la substance du rocher qui les enveloppe , je coupai d’abord le canal horizontal du côté droit.

Le mouvement de la tête, et tous les effets de ce mou- vement sur les autres mouvemens du corps reparurent à l’instant, comme chez le précédent lapin, mais avec cette différence que cette fois-ci la tête était presque toujours tournée à droite, et que c'était toujours aussi

du côté droit que l'animal tournait.

(ro)

4. Je coupai le canal horizontal du côté gauche : aussi-- tôt la tête reprit sa position sur la ligne médiane, et l'animal tourna tantôt d’un côté , tantôt de l’autre.

5. Les deux canaux verticaux postérieurs ayant été mis à nu sur un troisième lapin, je coupai le canal du côté gauche.

Ces canaux répondent aux canaux inférieurs ou ex- ternes des oiseaux; mais ils ne croisent plus, chez les: mammifères , les canaux horizontaux. }

À peine Ja section fut-elle opérée qu’il survint un mouvement rapide de la tête de bas en haut et de haut en bas. Ce mouvement cesse dans le repos ; il se renou- velle par le moindre mouvement, et il s'accroît tou- jours d’autant plus que les autres mouvemens sont plus. rapides.

Dans leur plus grande violence , les oscillations de la ièle sont très-étendues ; ces oscillations s’affaiblissent en- suite peu à peu: un moment avant de cesser, il n’y a plus qu’un léger tremblement qui représente tout-à-fait le tremblement de la tête qui s’observe chez certains, vieillards.

Quelquefois la tête, dans son mouvement de bas en haut et de haut en bas, fait comme un demi-tour à droite ou à gauche : très-souvent aussi le mouvement de bas en haut emporte en arrière tout le corps de l'animal , et le fait tomber presqu’à la renverse.

Ce commencement de culbute en arrière, joint au: mouvement de la tête et qui n’en est qu'un degré plus fort, trouble la station, la marche et surtout la course.

Les yeux et les paupières sont dans une agitation qui

dure tant que le mouvement de la tête dure; et qui,

(11)

comme dans les cas précédens , cesse dès que ce mouve- ment cesse.

De plus, ce mouvement de la tête, mouvement qui s'évanouit presque aussitôt chez les pigeons , dans le cas d’un seul canal coupé, persistait encore , chez ce lapin, plusieurs heures après l'opération.

6. Je coupai le canal vertical postérieur du côté droit : aussitôt le mouvement vertical de la tête devint plus vio- lent ; les mouvemens de culbute en arrière plus fréquens et plus forts, et par suite tous les autres mouvemens de l'animal, la marche, la course, le saut, plus troublés et plus désordonnés.

Enfin, et comme à l'ordinaire, le mouvement de la tête cesse dans le repos , et renait par le mouvement : il en est de mème de la rotation du globe des yeux ; elle renaît avec le mouvement de la tête et disparaît avec lui.

Ce lapin, quoique très-jeune encore et conséquem- ment très-faible , surtout pour une pareiïlle expérience, a pourtant survécu durant sept à huit jours. Il mangeait de lui-même ; et, tant qu’il a vécu , le mouvement de la tètea subsisté.

7. Il restait à tenter enfin la section du troisième et dernier canal, ou du canal vertical antérieur ( c’est le supérieur ou interne des oiseaux ). Maïs chez les lapins, animaux qui jusqu'ici s'étaient si bien prêtés à mes ex- périences, le cervelet offre , sur le côté de chaque hé- misphère, un petit lobe qui passe sous ce canal. Le point par lequel ce petit lobe adhère à l'hémisphère se rétrécit en un pédicule pour se laisser ceindre par le canal , lequel embrasse ce pédicule comme dans un an- neau : sorti de cet anneau , le lobule du cervelet s’épa-

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nouit et se développe , en sorte que le canal se trouve ainsi comme caché dans un profond sillon , entre l’hé- misphère d'une part, et l'épanouissement du lobule , de l’autre. Il m'a été tout-à-fait impossible, quelques pré- cautions que j'aie prises, de couper ce canal sans blesser plus ou moins ce lobule (1), et sans compliquer plus ou moins , dès-lors , les effets propres’ de l’une de ces par- ties des effets de l’autre (2).

8. Heureusement qu’au fond ce qui importait, c'était de voir si le phénomène singulier qui suit la section des capaux semi-circulaires chez les oiseaux, se reprodui- sait chez les mammifères; c’est-à-dire si, d’abord , la section d’un canal qnelconque était suivie d’un mouve- ment quelconque; et si, ensuite, la direction du canal coupé déterminait toujours la direction du mouvement produit.

9. Or, quant au premier point, il eût sufli, à la rigueur, de pouvoir atteindre un seul des trois canaux ; et, quant au second , il suflisait de pouvoir atteindre et le canal horizontal , et un canal vertical quel qu’il fût, puisque c'était de l’opposition principale entre la direction de ces deux canaux que devait naître le principal contraste des phénomènes.

10. J'ai voulu voir pourtant si, sur des lapins d’un âge moins avancé que ceux sur lesquels j'avais opéré

(1) Ou le point de l'hémisphère auquel ce lobule adhère.

(2) Le lobule latéral du cervelet se retrouve chez tous les rongeurs, le rat ; La souris , le lérot , etc. ; il est à peine marqué chez les carnas- siers , le chat, le chien , etc. Il se retrouve aussi chez les oïseaux ; il est même assez développé chez l'oie, chez le canard ,\par exemple ; il l'est moins chez le dindon , la poule , la caille , etc. ; et moins encore chez le pigeon , les passereaux , les oiseaux de nuit, etc.

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jusqu'ici, je ne pourrais pas réussir à atteindre enfin , isolément, le canal vertical antérieur. En effet, à me- sure qu’on remonte d’âge en âge, le cervelet et le lobule du cervelet, moins développés, dépassent de moins en moins le canal, et s’opposent ainsi, de moins en moins, à ce qu’on l’atteigne.

11. Après plusieurs essais, je suis parvenu, sur des lapins de douze à quinze jours à peu près, à couper quelquefois le canal vertical antérieur sans blesser le cervelet ; mais, à cet âge même , je n'ai pu, la plupart du temps, le couper sans blesser plus ou moins cet organe.

12. Dans les cas de cette complication de lésions, les effets du cervelet masquant plus ou moins les effets pro- pres du canal, je n'ai pu obtenir qu'un résultat confus.

Dans les cas, au contraire, la section du canal à été simple et dégagée de toute complication de lésion du cervelet, j'ai constamment vu se reproduire et le mou- -vement de la tête de haut en bas et de bas en haut, et la propension de culbute en avant qui accompagnent la section de ce canal chez les oiseaux.

13. En outre, chez les lapins , au mouvement vertical de la tête, qui est le seul qui s’observe alors chez les oiseaux, se Joignait par fois un mouvement horizontal de cette partie, et quelquefois aussi l'animal tournait sur lui-même.

$ III.

1. J'ai répété les expériences qui précèdent , soit sur le canal horizontal, soit sur le canal vertical postérienr,

(14) soit sur le canal vertical antérieur, sur plusieurs lapins : le résultat a toujours été le mème. Ainsi donc :

Chez les lapins , comme chez les pigeons, la sec- tion des canaux horizontaux est suivie d’un mouvement horizontal ; et la section des canaux verticaux, d’un mou- vement vertical de la tête.

De plus, la section du canal horizontal est suivie d’un tournoiement de l’animal sur lui-même; celle du canal vertical postérieur , d’un mouvement de culbute en ar- rière ; et celle du canal vertical antérieur, d’un mouve- ment de culbute en avant.

Tous ces mouvemens, soit de branlement de la tête, soit de tournoiement , soit de culbute, ont moins de violence chez les lapins que chez les pigeons.

Ainsi le branlement de la tête est moins impétueux : l'animal tourne sur lui-même avec moins de rapidité : il éprouve un commencement de culbute, maïs la cul- bute n’est pas complète, et à plus forte raison n'y a-t-il pas plusieurs culbutes à la suite les unes des autres, comme chez les pigeons.

Chez les lapins comme chez les pigeons, le mou- vement de la tête cesse dans le repos; il renaît par le mouvement, et il s'accroît toujours d'autant plus que les autres mouvemens sont plus rapides.

Les mouvemens qu’entraîne la section des canaux semi-circulaires sont toujours les mêmes pour les mêmes canaux , toujours diflérens pour les différens canaux, chez les lapins, comme chez les pigeons; et c’est une chose digne de remarque sans doute qu’il y ait précisé- ment autant de directions différentes de ces mouvemens qu'il y a de directions principales ou cardinales de tout

(15) mouvement : d'avant en arrière et d’arrière en avant ; de haut en bas et de bas en haut; de droite à gauche et de gauche à droite.

Le mouvement de la tête (et tous les effets de ce mouvement) qui suit la section d’un seul canal vertical ou horizontal , a plus äe constance chez les lapins que chez les pigeons.

Enfin, le mouvement de la tête, suite de la sec- tion des deux canaux, verticaux ou horizontaux, persiste toujours chez les lapins comme chez les pigeons ; et chez les uns comme chez les autres, bien qu’il persiste, il n'empêche pas l’animal de vivre et de conserver tous ses sens et toute son intelligence.

2. Les mouvemens singuliers que détermine la section des canaux semi-circulaires se reproduisent donc chez les mammifères comme chez les oiseaux. Ces mouvemens constituent donc un phénomène qui jusqu'ici se montre aussi général qu'il est étonnant. |

3. Il ne reste plus qu’à le suivre sur les canaux semi- circulaires des reptiles et des poissons, des poissons cartilagineux surtout , ces canaux sont si développés, et d’ailleurs la mollesse du cartilage doit opposer moins de difficultés à l’expérience.

4. Les recherches auxquelles je me propose de me livrer sur ces deux classes feront l’objet d’un nouveau Mémoire.

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Reoueroues sur quelques Changemens observés dans les animaux domestiques transportés de l'ancien dans le nouveau continent ; '

Par M. Rouzin,

Docteur en médecine.

(Lues à l’Académie royale des Sciences, le 29 septembre 1828. )

Pendant un séjour de six années en Colombie , j'ai recueilli sur quelques points de l'histoire naturelle, mais plus particulièrement sur les mammifères et sur les oiseaux, un certain nombre d’observations que je me propose de soumettre successivement au jugement de l’Académie.

Des grands mammifères que l'on trouve maintenant en ce pays, les plus nombreux sont ceux qui ont été transportés de l’ancien continent . comme ce sont en mème temps les plus utiles, on s’est beaucoup occupé de leur existence dans ces contrées sous le point de vue économique , mais, sous le point de vue scientifique , on semble les avoir complètement oubliés; peut-être sup- pose-t-on les avoir étudiés assez en Europe pour n'avoir plus besoin de s’en occuper en Amérique.

Cependant l'introduction , dans ‘un nouveau monde, d'animaux qui se substituent en quelque sorte aux es- pèces indigènes, forme une époque dont l’histoire mérite certainement d’être étudiée. Leur établissement n’a-t-il été accompagné d'aucune circonstance , d'aucun phéno- mène remarquable? Une fois naturalisés dans le pays,

sont-ils restés ce qu'ils étaient en Europe; et, s’ils ont

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(En }

subi quelque changement durable , cette transformation ne peut-elle pas jeter quelque jour sur celle qu'ils ont éprouvée jadis en passant de l’état sauvage à l’état do- mestique? Voilà plusieurs points qui méritent d’être éclaircis, mais qui ne peuvent l'être d’une manière complète qu’en réunissant des observations faites en différens points de ce vaste pays. Je présente aujourd’hui celles que j'ai été à portée de réunir dans la Nouvelle, Grenade et dans une partie de Vénézuéla, du au 10° degré de lat. N., et du 70° au 80° degré de longitude occidentale.

Quoique cet espace soit assez limité . il offre un champ favorable pour l'observation , étant traversé dans toute son étendue par la grande Cordilière des Andes , divisée en cette partie en trois chaînes principales, de sorte qu'on peut étudier à quelques lieues de distance les mêmes animaux vivans, les uns dans une température moyenne de 10° cent., et les autres dans une de 25 äL 30.

Les mammifères qui ont été transportés de l’ancien continent dans le nouveau, sont :le Porc, le Cheval, l’Ane , la Brebis , la Chèvre, la Vache, le Chien et le Chat.

Les premiers porcs furent amenés en Amérique par Colomb , et établis dans l’île de Saint-Domingue dans l’année même qui suivit la découverte, en novembre 1493. Dans les années suivantes , ils furent portés suc- cessivement dans tous les lieux les Espagnols songè- rent à se fixer ; et, dans l’espace d’un demi-siècle, on les trouva établis du 25° degré de lat. N. au 40° de lat, S. Nulle part üls ne semblèrent souffrir du changement de

XVI. : 2

(18) climat, ét, dès le commencement , ils se reproduisirent avec la même facilité qu'en Europe.

La plupart des pores qui se consomment dans la Nou- velle-Grenade viennent des vallées chaudes , on les élève en grande quantité, parce que leur nourriture y coûte peu ; dans certaines saisons même , elle’se com- pose presque entièrement de fruils sauvages , et surtout de ceux de diflérentes espèces de palmiers.

Errant tout le jour dans les bois, cet animal a perdu presque toutes les marques de la servitude ; ses oreilles se sont redressées , sa tête s’est élargie , relevée à la partie supérieure ; sa couleur est redevenue constante , il est entièrement noir. Le jeune, sur la même robe, porte en lignes fauves la livrée comme le marcassin. Tels sont les porcs qu’on amène à Bogota des vallées de Tocayma, Cunday, Melgar, etc. ; leur poil est rare, à cela près ils présentent tout-à-fait l'aspect d’un sanglier de même âge (un an à 18 mois ).

Le sanglier même peut subir cette altération, et j'ai eu tout récemment l’occasion de l’observer en Franec, dans une ferme près de Fougères, l’on élevait 7 à 8 de ces animaux : un d'eux , âgé de deux ans environ, était nourri dans l’étable depuis le commencement du prin- temps , dans le but de l’engraisser pour le tuer. Quoi- qu'il ne füt pas prisonnier en ce lieu, la nourriture qu’il y trouvait constamment suflisait depuis deux mois pour l'y retenir ; son poil, par l'effet de la chaleur, était presque entièrement tombé, et il me présenta la plus parfaite ressemblance avec les cochons de Melgar, que je viens de décrire, sauf que deux rides longitudinales

sur les côtés du museau, en se prononcant plus forte-

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ment, donnaient à son aspect plus de férocité. Par op- position, le porc des Paramos, c’est-à-dire des montagnes qui sont à plus de 2500 m. d’élévation, prend beaucoup de l’aspect du sanglier de nos forèts, par l’épaisseur de son poil qui devient comme crépu, et présente mème ‘en dessous, chez quelques individus, une espèce de laine. Au reste, ie cochon que l'on trouve en ces lieux est petit et rabougri, par suite du défaut d’une nourri- ture suflisante, et par l’action continue d’un froid ex- cessif.

Dans quelques parties chaudes , le cochon n'est pas noir comme celui que je viens de décrire, mais roux comme le Pécari dans son jeune âge. À Melgar même, et dans les autres lieux que j'ai cités, le porc n’est pas toujours entièrement noir ; il s’en trouve qu’on nomme sanglés (cinchados), parce qu'ils ont, sous le ventre, une large bande blanche qui va communément se réunir sur le dos, tantôt en se rétrécissant , et tantôt en con- servant la même largeur.

Les jeunes individus , dans cette variété, portent la livrée comme chez ceux qui sont tout noirs.

Les seuls porcs qu’on voie, en Colombie , semblables à ceux de France, ont été importés depuis une vingtaine d'années seulement ; ils ne viennent pourtant pas d'Eu- rope, mais des États-Unis d'Amérique. Il est bon au reste d'observer que, dans les environs de New-York, cette race existait depuis long-temps, elle avait un climat très-semblabile au nôtre, et était comme chez nous l’objet de soins constans de la part de l'homme.

L'établissement du gros bétail en Amérique date,

comme celui des pores du second voyage de Colomb à

a

(20)

Saint-Domingue ; il s’y multiplia rapidement, et cette ile devint bientôt une sorte de pépinière d’où l’on trans- porta successivement ces animaux aux divers points de la côte ferme , et de dans l’intérieur. Malgré ces nom- breuses exportations , vingt-sept ans après la découverte de l'ile, les troupeaux de quatre mille têtes, à ce que nous apprend Oviédo, y étaient assez communs , et il y en avait même qui allaient jusqu’à huit mille. En 1587, l'exportation des cuirs de cette île seule fut, au rapport d’Acosta, de 35,444, et dans la mème année on en ex- porta 64,350 des ports de la Nouvelle-Espagne : c'était la 65° année après la prise de Mexico , événement avant lequel les Espagnols qui vinrent en ce pays n'avaient pu s'occuper d’autre chose aue de guerre.

Tant que le bétail fut en petit nombre, el groupé autour des habitations , il réussit également bien par- tout ; mais , aussitôt qu'il se fut multiplié, on s’aperçut qu'en certains lieux il ne pouvait se passer du secours de l’homme ; qué cela tenait à ce qu’une certaine quan- tité de sel dans ses alimens lui était absolument néces- saire, et que s’il ne la trouvait pas dans les plantes, les eaux , ou dans certaines terres d’un goût saumâtre com- munes en plusieurs points de l'Amérique, il fallait le lui fournir directement , faute de quoi il devenait chétif; beaucoup de femelles cessaient d’être fécondes, et le troupeau dépérissait rapidement.

Dans les lieux mêmes le bétail peut exister sans ce secours, on trouve pour les grands troupeaux de l'avantage à en distribuer à temps fixes aux animaux ; c’est un moyen de les attirer vers le lieu l’on a cou- tume de les visiter; leur avidité pour cette substance

(21) est telle que, lorsqu'on leur en a donné deux ou trois fois dans la même place, on les y voit accourir sitôt qu’ils entendent le cornet que sonnent les pâtres en faisant la battue.

Si l’on néglige de réunir de temps en temps le trou- peau, et que le pays d’ailleurs lui fournisse la quantité de sel nécessaire à son existence, il ne lui faut qu’un petit nombre d’années pour devenir entièrement sau- vage : cela est arrivé ainsi, à ma connaissance , en deux endroits, l’un en la province de San Martin, dans une propriété des Jésuites, à l’époque de l’expulsion de ces religieux; l’autre dans la province de Mariquita au Pa- ramo de Santa Isabel, lors de l’abandon de certaines miñes d’or de lavage : dans ce dernier lieu, les animaux ne sont pas restés dans les parages l’homme les avait placés; ils sont remontés dans la Cordilière chercher la région des graminées , et vivent dans une température presque constante de 9 à 10° cent. Les paysans des vil- lages de Mendez, Piédras, etc., situés dans la plaine, vont quelquefois les y chasser ; ils cherchent à s’en em- parer en tendant des nœuds coulans, et poussant les petits troupeaux vers les lieux les piéges sont pré- parés.

Quand ils sont une fois parvenus à se rendre maîtres d’un de ces animaux, il leur est souvent impossible de le faire sortir vivant de la montagne , non à cause de sa résistance qui, après un certain temps, finit par dimi- nuer, mais parce que souvent l'animal , après avoir re- connu J’inutilité de ses efforts, est saisi d’un tremble- ment général daus tout son corps, tombe bientôt sans qu’il soit possible de le faire relever, et meurt dans un

(22)

peut nombre d'heures. Le manque de sel, l'éloignement des lieux habités et l’âpreté des chemins , empêchent de tirer ,- de l’animal qu’on tue, d’autre parti que celui de la viande qu'on consomme sur les lieux. Ces inconvé - nieus contribuent à rendre la chasse assez rare, outre que jes chasseurs ont toujours la crainte d’être surpris par la neige qui tombe quelquefois en.ces lieux , et qui, quand elle dure plusieurs jours, fait périr ces mal- heureux. habitués à des climats constamment chauds.

Quand on est parvenu à tirer un de ces animaux de la montagne , il n’est pas très-diflicile de l’apprivoiser en le tenant près de la ferme , lui donnant fréynemment du sel, et l’habiiuant à voir constamment des hommes. Je n'ai jamais eu l’occasion d'en voir de vivans : jai goûté de la chair d’une vache qui avait été tuée la veille de mon arrivée ; elle ne me sembla différer en rien de la chair de vache domestique; la peau était remarquable- ment épaisse, du reste de grandeur ordinaire ; le poil était long , serré et mal couché.

Dans la province de San Martin, j'ai vu les taureaux marrons paitre dans les //anos au milieu du bétail do- mestique ; ces animaux passent la matinée dans les boïs qui couvrent le pied de la Cordilière , et ne sortent que vers deux heures de l'après-midi pour paitre dans la Savanne : aussitôt qu'ils aperçoivent un homme, ils s’'empressent de regagner la forêt en galopant.

Avant la guerre de la révolution , quand le bétail do- mestique était plus nombreux, on ne poursuivait pas celui-ci, qu'on a beaucoup plus de peine à joindre. Quand on est parvenu à en enlacer un, on le tue promp- tement, car il serait difficile , au milieu de ces plaines ,

|

À

(25 ) de l’empêcher de retourner à ses habitudes d’indé- pendance.

La peau du bétail sauvage ne m'a paru différer en rien de celle du bétail domestique , que l’on trouve dans les mêmes parages : les unes et les autres sont toujours beaucoup moins pesantes que celles du bétail élevé sur le plateau de Bogota, et celui-ci le cède sous ce rapport comme sous celui de l'épaisseur du poil aux individus sauvages du Paramo de Santa Isabel.

J'ai vu, dans les parties les plus chaudes de la province de Mariquita et de Neyba, certaines bètes à cornes dont le poil est extrèmement rare et fin; on leur donne par antiphrase le nom de pelones. Cette variété se reproduit par la génération , maïs on ne cherche pas à en favori- ser Ja multiplication ; car, comme «une partie du bétail -qu'ou élève en ces lieux est destinée à la consommation des villes de la Cordilière, ils doivent rester à s’en- graisser avant d'être tués, les pelones qui supportent mal le froïd ne sont pas propres à être exportées.

Il naït aussi souvent dans les mêmes lieux des indi- vidus appelés calungos, dont la peau est entièrement nue, comme celle des chiens turcs : ces animaux étant plus faibles, plus délicats, on a coutume de les détruire avant qu’ils soient propres à la reproduction.

Il n’en naît jamais dans les parties froides.

En Europe, le lait entre pour beaucoup dans le produit qu’on retire du gros bétail, on trait générale- ment la vache depuis le moment elle devient féconde jusqu'à celui elle cesse de l’être : cette pratique, constamment répétée sur tous les individus pendant une

longue série de générations, a fini par pwoduire dans

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l'espèce des altérations durables. Les mamelles ont ac- quis une ampleur plus qu’ordinaire , et le lait continue d'y aflluer alors même que le nourrisson est enlevé. En Colombie , un nouveau système rural, l'abondance du bétail par rapport au nombre des habitans , sa dispersion dans des pâturages d’une trop vaste étendue, et une foule de circonstances enfin qu’il n’est pas de mon sujet de rapporter, ont interrompu de semblables habitudes. Eh bien! il n’a fallu qu'un petit nombre de générations pour que l’organisation, libre de contraintes, remontàt vers son 1ype normal. Aujourd’hui donc si l’on destine une vache à donner du lait, le premier soin est de lui conserver son veau ; il faut que tout le jour il soit avec elle , et puisse la téter ; on les sépare seulement le soir pour profiter du lait qui s’amasse dans la nuit : le veau vient-1il à mourir, le lait tarit aussitôt.

L’âne, dans les provinces j'ai eu occasion de l'ob- server, ne paraît avoir subi presqu'aucune altération dans sa forme ni dans ses habitudes ; il est commun à Bogota , on l’emploie au transport des matériaux à bâtir : on l’y soigne mal , on le laisse exposé aux intem- péries de l’air, sans lui donner une nourriture suflisante, aussi est-il petit et chéuif ; il est couvert d’un poil très- long et mal peigné : les difivormités sont fréquentes , non seulement chez les adultes qu'on commence à charger de trop bonne heure, mais chez les jeunes même au moment de la naissance : peut-être cette circonstance tient-elle aux mauvais traitemens qu’essuient les mères pendant la gestation. |

Dans les parties basses et chaudes l’on a besoin d’ànes étalons pour obtenir des mulets, cet animal est

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moins négligé. En ces lieux du moins il a une nourri- ture suflisante ; aussi est-il plus grand et plus fort, son poil devient plus court et plus poli.

Quand un âne étalon et un cheval entier se trouvent avec quelques jumens dans un pâturage d’une étendue bornée , c’est entre eux une guerre perpétuelle. Malgré l’infériorité de forces , c’est l’âne qui revient le plus souvent à la charge ; il ne cherche guère à se défendre contre les morsures du cheval , autrement qu’en écartant la tête et le cou celui-ci s'attaque d'ordinaire ; il ne répond point à ses ruades par d’autres ruades , il ne s'applique qu’à une chose, c’est de le saisir aux parties de la génération , et assez souvent, après plusieurs jours de persévérance , il réussit à le prendre au dépourvu , et le châtre d’un seul coup de dents.

Dans aucune des provinces que j'ai visitées, l’ane n’était revenu à l’état sauvage.

Il n’en est pas de même du cheval : il en existe de marrons dans plusieurs parties de Colombie ; j'en ai vu de petits troupeaux dans les plaines de San Martin, entre les sources du Méta , le Rio Negro et l'Umadea. Leur nombre étant peu considérable, et l’espace dans lequel ils sont confinés étant beaucoup plus resserré et plus fréquenté par les hommes que les plaines du Para- guay , ils n’ont pas pris toutes les habitudes qui ont été si bien décrites par M. d’Azzara ; ainsi je ne les ai pas vus en grandes troupes formées de petits pelotons : j'ai vu ces pelotons composés d’un vieux mâle, de cinq à six jJumens et de quelques petits poulains , complètement isolés de tous les autres. Loin de s'approcher des cara- vanes pour Gébaucher les chevaux domestiques , ils

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fuient aussitôt qu'ils aperçoivent un homme , et ne s’ar- rêtent point tant qu'ils sont en vue. Les mouvemens de ces animaux sont beaux, surtout ceux du chef de la troupe, mais leurs formes, sans être pesantes, manquent généralement d'élégance.

Dans les hatos des Ilanos , les chevaux sont presqu’en- tièrement abandonnés à eux-mêmes; on les rassemble seulement de temps en temps pour les empêcher de de- venir entièrement sauvages , leur ôter les larves d’œstres, et marquer les poulains avec un fer aie Par suite de cette vie indépendante. un caractère appartenant à l’es- pèce non réduite, la constance de couleur commerce à se remontrer. Le bai châtain est non seulement la cou- leur dominante, mais presque l’unique couleur. Au reste , je soupçonne que quelque chose de semblable pourrait bien être arrivé en Espagne, pour ceux de ces animaux qu’on laisse errer dans les montagnes ( cavallos cerreros ); car, dans les proverbes , le cheval est souvent désigné sous le nom de el bayo, comme l’âne est appelé grison , r'UCIO.

Dans les petits hatos qu’on trouve sur les plateaux de la Cordilière , les eflets de Ja domesticité se font davan- tage sentir : les couleurs des chevaux y sont plus variées, il y a plus de différence dans leur taille, c’est-à-dire qu’on en trouve beaucoup de plus petits, et quelques- uns un peu plus grands; du reste, aucun ne dépasse la taille moyenne : leur poil, tant qu'ils vivent constam- ment dans les champs, est assez touflu et assez long ; mais il suffit de quelques mois d’écurie pour qu'ils re- prennent un poil brillant ét court : au reste, la race de

ces chevaux est en partie renouvelée par des étalons que

(am) | l'on tire des climats chauds. surtout de la vallée du Cauca. Il m'a semblé que, dans certaines possessions l’on avait négligé ce soin , les chevaux étaient deve- nus sensiblement plus petits, quoique d’ailleurs les pâturages fussent renommés pour leur bonté : leur poil s'était accru au point de les rendre difformes ; mais, sous le rapport des qualités utiles, ils avaient peu perdu ; ceux même d’un certain canton étaient cités pour leur vitesse.

Quand on amène un cheval des lianos de San Martin ou de Casanare , sur le plateau de Bogota, on est obligé de le tenir à l'écurie jusqu'à ce qu'il soit acclimaté : si on le lâche d’abord dans les champs, il maigrit, se couvre de gale, et souvent meurt en peu de mois.

Le pas que l’on préfère dans les chevaux de selle est l'amble et le pas relevé ; on les y dresse de bonne heure, et tant qu'on les monte on à le plus grand soin de ne jamais leur permettre de prendre un autre pas. Au bout d’un certain temps , les jambes de ces chevaux s'engor- gent communément; alors, s'ils sont d’ailleurs d’une belle forme, on les lâche dans les hatos comme éta- lons : il résulte de une race chez laquelle l’amble est pour les adultes l'allure naturelte. On donne à ces chevaux le nom d’aguilillas.

Les chiens, comme on le sait, ont été les auxiliaires des Espagnols dans leurs expéditions militaires au Nou- veau Monde, et cela depuis le commencement. Colomb est le premier qui les ait employé. A sa première affaire avec les Indiens, sa troupe se composait, comme nous l'apprennent ses propres Mémoires, de 200/fantassins ,

20 cavaliers et 20 limicers. Les chiens furent ensuite em-

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ployés dans la conquête des différentes parties de la terre ferme, surtout au Mexique et dans la Nouvelle-Grenade, et dans tous les points la résistance des Indiens fut prolongée ; leur race s’est conservée sans altération ap- parente sur le plateau de Santa or l’applique à la chasse du cerf ; elle y déploie une ardeur extrème , et y use du même mode d'attaque qui la rendait jadis si re- doutable aux indigènes; il consiste à saisir l’animal au bas-ventre , et à le renverser par une brusque secousse , en prolitant du moment son corps porte seulement sur les jambes de devant. Le poids de l’animal renversé est souvent sextuple de celui du chien.

Sans avoir reçu aucune éducation, le chien de race pure apporte à cette chasse certaines dispositions que n’ont point des chiens courans d’une espèce supérieure qu'on à amenés depuis peu d'Europe. Par exemple, il n'attaque jamais de front un cerf au milieu de sa course ; et même quand celui-ci, ne l’apercevant pas, vient à lui directement, il se met à l'écart et l’assaillit de flanc. Un autre chien n’use point de semblables précautions , et souvent est renversé mort sur la place, avec les ver- tèbres du cou luxées par la violence du choc.

Chez les pauvres habitans des bords de la Magdeleine, ce chien s’est abätardi en partie par le mélange, en partie par le défaut d’une nourriture suffisante : toutefois, chez cette race dégénérée , un nouvel instinct semble devenir héréditaire. La chasse à laquelle on l’applique depuis long- temps presque exclusivement, est celle du pécari à mà- choire blanche ; l'adresse du chien y consiste à modérer son ardeur, à ne s'attacher à aucun animal en particu-

lier, mais à tenir toute la troupe en échec : or, parmi

( 29 ) ces chiens , on en voit maintenant qui, la première fois qu'on les mène au bois, savent déjà comment attaquer. Un chien d’une autre espèce se lance tout d’abord , est environné ; et, quelle que soit sa force, il est dévoré dans un instant.

Le chat n’a subi, en Amérique, aucun changement appréciable , sauf celui de n’avoir dans l’année aucun temps plus particulièrement marqué pour les amours. Ce fait, qui se conçoit fort bien dans ün climat toujours égal, existe d’ailleurs pour tous les animaux dont j'ai déjà traité; mais il n’a plus lieu pour ceux dont il me reste à parler , la chèvre et la brebis; car, bien qu'il naisse toute l’année des chevreaux et des agneaux, il y a deux époques le nombre des naissances augmente considérablement; c’est vers Noël et la Pentecôte.

Le mouton qui a été amené d'Espagne n’est point de l'espèce mérinos, mais de celles qu’on dit de lana burda y basta. Il est très-commun sur la Cordilière, depuis 1000 jusqu'à 2,500 m. de hauteur; nulle part il ne semble chercher à échapper à la protection de l’homme; aussi n’observe-t-on daus ses mœurs aucun change-

ment, et, dans ses formes, tout au plus quelque di- minution dans la taille.

Entre les limites que j'ai indiquées, le mouton se propage facilement , et sans presque exiger aucun soin ; mais il n’en est pas de mème dans les pays chauds. Il paraît que , dans les plaines du Méta, il est très-diflicile d’en élever, puisque, bien que leur peau y soit très- recherchée pour faire une sorte de chabraque, et que son prix y soit égal à celui d’une peau de bœuf , on ne voit aucune brebis depuis le fleuve jusqu’au pied de la

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Cordilière. Dans la vallée qui sépare la chaîne orientale de la moyenne , on en voit il est vrai en quelques lieux , mais ils sont toujours en petit nombre; les femelles y sont peu fécondes , et les agneaux diflciles à élever.

Au reste , leur existence en ces lieux est digne de fixer l'attention, en ce qu’elle donne lieu à un phénomène extrèmement curieux.

La laine, chez ces agneaux, croît à peu près de la même manière que chez ceux des climats tempérés : lorsque , arrivée à une certaine épaisseur, on la coupe, elle commence bientôt à repousser, et tout se succède dans l’ordre accoutumé ; mais, si on laisse dépasser le temps favorable pour dépouiller l’animal de sa toison,